Veterans Today, le 13 décembre 2015
Par Jim W. Dean, le 13 décembre 2015
Erdogan brûle certainement d’une flamme … mais est-ce la bonne ?
Erdogan peut-il surfer sur la vague nationaliste pour arriver à une présidence toute-puissante ?
Par Ray Camen, invité éditorial de VT
Une démocratie qui élimine toute opposition est-elle une arnaque ?
(Remarque de l’éditeur : Nous avons eu besoin d’un excellent connaisseur de l’histoire et de la vie en Turquie pour nous aider à traiter plus complètement de la partie turque des controverses en cours. En termes de communication directe je ne pense pas que nous y ayons des relations similaires à celles que nous avons en Syrie.
Nous ne voulions pas de quelqu’un qui ne soit pas Turc, mais VT a maintenant une réputation internationale suffisante pour que lorsque nous annonçons chercher quelqu’un et, bien, il arrive que des gens se manifestent au bon moment.
Ray Camen est l’un d’entre eux, rejoignant une longue liste d’autres sources et contributeurs de VT, dont la plupart ne sont pas journalistes et ne veulent pas l’être. Mais Ray (ce n’est pas son vrai nom) le peut, et nous sommes impatients d’entendre ce que les gens en Turquie pensent de la voie enclenchée par leur pays – politiquement, militairement et économiquement.
Le taux d’approbation international de l’action d’Erdogan va bientôt battre le record de celle du Congrès américain dans la zone à une décimale, et la main de fer qu’il abat sur toute opposition interne ne fait qu’alimenter toujours plus d’opposition.
Ce n’est qu’une question de temps avant que des « outsiders » n’interviennent en faveur de l’opposition, comme Erdogan l’a fait à l’intérieur de la Syrie, et par là j’entends une opposition violente, qui viserait le régime d’Erdogan, non le peuple comme l’on fait les terroristes syriens, y compris ceux qui sont soutenus par la Turquie.
La réaction d’Erdogan serait de mettre en scène des attentats à la bombe visant des Turcs ordinaires, car c’est ainsi qu’il agirait et l’a déjà fait pour manipuler les foules, parce que cela marche. Voici une retranscription partielle d’une conférence téléphonique interceptée en mars 2014 et rendue publique qui montre avec quelle facilité un coup monté peut servir à exploiter une situation.
Ahmet Davutoglu– Ministre des Affaires Etrangères : « le Premier Ministre a déclaré que dans la conjoncture actuelle, cette attaque (sur la tombe de Suleiman Shah) doit être considérée comme une bonne occasion pour nous. »
Hakan Fidan– Chef des services de renseignement : « Je vais envoyer 4 hommes de Syrie, si cela ne tient qu’à ça. Je vais organiser une provocation en ordonnant une attaque par missile sur la Turquie ; nous pouvons également préparer une attaque sur la Tombe de Suleiman Shah si nécessaire. »
Feridun Sinirlioglu– Sous-secrétaire aux Affaires Etrangères : « Notre intérêt national est devenu une vulgaire façade pour des affaires de politique intérieure. »
Yasar Güler– Chef d’état-major adjoint de l’armée turque : « C’est un prétexte de guerre. Je veux dire, ce que nous allons faire est un prétexte direct à la guerre. »
Nous vivons dans un monde pourri, du haut en bas de l’échelle, et la Turquie ne fait pas exception … Jim W. Dean)
Erdogan peut-il contrôler ses militaires rien que par la peur et l’argent ?
VT présente Ray Camen
Le fait d’abattre un seul appareil a changé tellement de choses !
Après avoir repoussé toutes les limites en abattant un avion de chasse Su-24 russe et en faisant fi de toutes les conséquences, le chef de l’état turc, Erdogan, se « délecte » dans les feux de l’actualité.
Donc peu importe qu’on lui ait battu à froid lors de la Conférence sur le Climat de Paris et qu’il risque des accusations sérieuses concernant ses relations avec l’EIIL aux multiples facettes?
Erdogan a la mainmise sur les médias de l’état et une solide emprise sur les médias privés en Turquie, ce qui lui permet de transformer même de la publicité négative en or pour favoriser ses projets personnels. Le meilleur exemple est le chantage totalement inattendu qu’il a exercé sur l’autorité judiciaire en décembre 2014, où à la vue de tous il a fait refermer des dossiers complets remplis d’enregistrements audio et vidéo de tractations financières douteuses l’impliquant lui et sa famille, ses ministres et ses plus proches associés.
La plus grande ironie, c’est qu’il a joué constamment le rôle de victime, tout en essayant de se sortir de ce profond bourbier, ce qui ne l’a pas empêché d’impliquer et de sacrifier son partenaire de longue date, M. Fethullah Gulen, et au passage son mouvement politique. Le processus de « nettoyage » des Gulenistes et de tous ceux qui s’opposent à Erdogan est quasiment achevé, et tous les postes vacants sont en train d’être occupés par ses propres partisans.
Il utilise également des tactiques musclées dans le secteur des affaires et des médias, en s’appuyant sur des réglementations de l’état pour saisir des entreprises et les revendre à ses complices en tant qu’actionnaires. Donc il a suffi d’abattre un avion (Russe) pour qu’Erdogan se sente à nouveau important en tant que « dirigeant mondial ».
Il bénéficie du soutien de l’OTAN dans la Mer de Marmara, la Mer Egée et la Méditerranée orientale, pleines de navires de guerre américains, français, anglais, canadiens, espagnols, belges, portugais, grecs et néerlandais, y compris deux porte-avions américain et français. Peut-être cela fait-il partie d’un plan secret de l’OTAN pour stopper Poutine et l’expansion exponentielle de l’Orient, mais Erdogan a mis le pied dans un nid de frelons et, il a enclenché une succession d’évènements incertains qui pourraient avoir des conséquences catastrophiques.
Malgré le battage médiatique créé par ses campagnes d’information et des réseaux sociaux, Erdogan mesure finalement sa notoriété publique en Turquie selon ses taux d’approbation pour tenter d’instaurer une « Présidence » toute-puissante. Cette tentative n’a pas eu le succès escompté dans le public turc, ni même les partisans de l’AKP, comme le prouvent les sondages dans lesquels l’approbation culmine autour de 35%.
Erdogan à ses débuts
Il est peu probable que les amendements constitutionnels discutables soient votés par le Parlement même avec le soutien d’une partie de l’opposition, et Erdogan compte sur un référendum populaire avec une majorité de plus de 50% pour dégager le chemin.
Il espère secrètement que le fait d’abattre l’avion de chasse russe et les évènements ultérieurs lui donnent assez de crédibilité en tant que « dirigeant fort » pour niveler le chemin de sa « présidence » d’une importance cruciale dotée de pouvoirs dignes des sultans Ottomans.
A première vue, cela semble fonctionner étant donné le sentiment nationaliste croissant qui est également amplifié par le soutien aux populations résiduelles Islamistes turkmènes près de la frontière turco-syrienne sous le feu des forces russes.
L’incident du 6 décembre avec l’ « exhibition » du marin brandissant un missile portable pendant que le navire de débarquement russe Caesar Kunikov traversait le Bosphore, a fourni à l’empire médiatique d’Erdogan et à son média social « AK Trolls » (comme on les a appelés) la parfaite occasion de créer une nouvelle vague de sympathie et de solidarité avec le « Raïs* », le chef ou le patron. *titre donné au chef du navire de guerre de l’ère ottomane, par extension le chef politique.
Cela pourrait bien être le plus gros et le dernier pari d’Erdogan avant qu’il ne le perde finalement, mais la Turquie encourt les tristes conséquences du soutien public à Erdogan. Donc comment les gens ordinaires en Turquie ressentent-ils le choc du fiasco russe ?
Les exportateurs d’agrumes, fruits, légumes, volailles et autres denrées périssables vers la Russie ont perdu un de leurs principaux marchés d’exportation et vont devoir encaisser des pertes considérables. Tous les investissements turcs en Russie, particulièrement l’industrie de la construction qui est cruciale pour la croissance de l’économie turque, sont complètement arrêtés. L’industrie du tourisme turque va également en prendre en coup avec les annulations massives des agences de tourisme russes.
Est-ce que l’expansion russo-turque du gaz va s’abattre en flammes comme le bombardier russe ?
La dépendance de la Turquie par rapport au gaz naturel, dont près de la moitié est importée de Russie et l’autre plus grande part, vient d’Iran, est également une préoccupation majeure si Poutine décide de limiter ou d’interrompre la livraison de gaz au cours de l’hiver à venir. Sans compter les conséquences économiques d’une chute importante de l’approvisionnement en gaz, une perte totale pour le commerce turc avec la Russie est estimée à plus de 10 milliards de $.
Les entrepreneurs de toute la Turquie ont déjà été durement touchés au cours des trois dernières années par les pertes du commerce et de l’investissement en Libye, en Irak, en Iran et en Syrie. Celles-ci sont estimées à près de 100 milliards de $, en raison du projet expansionniste néo-ottoman d’Erdogan qui lui est revenu en pleine figure.
De l’autre côté cependant, les prix de certaines denrées périssables telles que les fruits et les légumes vont probablement baisser sur le marché intérieur en réaction au dumping pour réduire les pertes et la propagande d’Erdogan va sûrement transformer cela en percée économique majeure.
Pour ce qui est de l’afflux des réfugiés, Erdogan a réussi jusqu’ici à présenter la crise qu’il a contribué à créer comme un effort humanitaire destiné « à aider des voisins qui traversent des temps difficiles ». Mais les tensions montent à mesure que de plus en plus de réfugiés arrivent en Turquie, estimés à 2,5 millions « d’hôtes », dont 300 000 fournissent une main-d’œuvre bon marché pour le marché du travail local.
Les réfugiés syriens sont répartis dans toute la Turquie, y compris dans toutes les grandes villes, ils s’établissent dans des bidonvilles à l’intérieur des villes, mendiant au coin des rues et lavant les pare-brises aux feux rouges, repoussant par leur nombre même la suprématie des Kurdes et des Gitans dans ces quartiers. Maintenant qu’il ne peut plus dissimuler le problème des réfugiés, la responsabilité rejaillit sur Erdogan qui est critiqué même par ses propres partisans.
L’armée turque a toujours été le canot de sauvetage du peuple turc
Au-delà de toute propagande dans les informations et les médias sociaux, il y a de plus en plus de rumeurs de coup d’état militaire comme étant la solution des maux dont souffre la Turquie, le plus grand étant Erdogan lui-même.
Traditionnellement, les Forces Armées Turques ont toujours joui de la cote de confiance la plus élevée dans le pays (les politiciens occupant de façon constante le bas du classement) mais cette confiance a été grandement ébranlée par le complot réussi CIA-Gulen-Erdogan visant à extirper leurs idées pro-républicaines et pro-Atatürk.
Il y a toujours beaucoup de jeunes officiers qui pourraient en déclencher un, mais ils savent que s’ils échouent, ils ne risquent rien de moins que d’être accusés de haute-trahison.
S’ils réussissent, les choses seront comme en Egypte sous al-Sissi avec des soulèvements islamistes et des attaques terroristes, avec une perturbation plus forte du PKK. Cela n’en fait pas une alternative souhaitable, mais les coups d’état militaires en Turquie ont en général eu lieu dans les conditions les plus difficiles, avec effusion de sang des deux côtés et un effondrement financier.
Entretemps, les opposants politiques d’Erdogan lèchent toujours leurs plaies des élections de novembre, au cours desquelles ils ont tous perdu beaucoup de terrain sur le parti AK d’Erdogan. La base des électeurs déçus aussi bien des socialistes du CHP que des nationalistes du MHP en appellent à une relève de la garde, qui se heurte à une forte résistance des dirigeants des deux partis. M. Kilicdaroglu du CHP et M. Bahceli du MHP s’en tiennent toujours à leur vieille garde, bien qu’ils soient dans une situation précaire compte tenu de leurs pertes successives aux élections.
Le quatrième parti au Parlement, à savoir le HDP pro-kurde qui a franchi de justesse la barre des 10% aux élections nationales, poursuit son projet de « libérer le peuple kurde » - à commencer bien sûr par la libération de leur « dirigeant » le cerveau terroriste et boucher Abdullah Öcalan qui purge une peine de prison à vie sur un îlot isolé de l’armée. Öcalan, une des personnes les plus haïes en Turquie, contrôle toujours le PKK et jouit du soutien de la population kurde malgré son emprisonnement.
Dans le cadre de sa tentative d’établissement d’une « Présidence » suprême, Erdogan avait
conclu un pacte « secret » avec Öcalan grâce à l’entremise du sous-secrétaire du renseignement turc M. Hakan Fidan, et en a minimisé les conséquences lorsque l’accord fut révélé. En résumé, l’opposition affaiblie en Turquie est tellement bouleversée que cela procure à Erdogan un peu de consolation pour s’en servir de diversion et de souffre-douleur et compenser la tension croissante qu’il subit à l’intérieur du pays et sur la scène mondiale.
La Turquie possède une longue tradition de survie.
La Nation Turque, en tant qu’amalgame plein de fierté et de compassion de différents groupes ethniques autour de l’Anatolie y compris les Kurdes (le véritable creuset du monde), a subi beaucoup d’épreuves depuis la fondation de la séculaire République de Turquie en 1923.
La nouvelle République abolit ultérieurement l’Empire ottoman et le Califat ; depuis, les Islamistes en Turquie se sont attelés à la mission historique de venger et de restaurer les deux. Le legs du père-fondateur Kemal Atatürk, le génie militaire qui a mené la Guerre de l’Indépendance turque et l’homme d’état visionnaire qui a entrepris une série de réformes sans précédent pour moderniser le pays, est toujours vivace malgré l’érosion causée par les marionnettes libérales, pseudo-républicaines, nationalistes, séparatistes et islamistes en Turquie.
Au niveau mondial, les tenants du Nouvel Ordre Mondial, les Rothschild, Rockefeller et toute une série d’autres familles qui ont perdu d’énormes fortunes lors de leur « investissement » dans l’occupation alliée de l’Anatolie, ont mené une vendetta de longue haleine contre Atatürk et la Nation Turque. Comme si l’imposition d’un étranglement de dettes cumulées avoisinant les 600 milliards de $ ne suffisait pas, le Nouvel Ordre Mondial n’a cessé de jouer avec les factions les unes contre les autres pour perpétuer le chaos et l’instabilité à son profit.
Qu’il en soit conscient ou pas, Erdogan est pour le moment l’homme-clé du Nouvel Ordre Mondial en Turquie, un parmi la remarquable lignée de dictateurs que le Nouvel Ordre Mondial a utilisé pour ensuite les « balancer dans le fossé » par le passé.
La patiente et résolue Nation Turque, avec toute sa diversité ethnique, est la force sous-jacente permanente qui fait avancer la Turquie et elle continuera à endurer toutes les épreuves que lui lanceront le Nouvel Ordre Mondial et son caniche Erdogan.
Traduction française : Patrick T rev Isabelle